Contre le mur

La Marseillaise, 9 novembre 2009

La semaine de célébration des 20 ans de la chute du mur de Berlin n’a pas participé, comme elle aurait du, à faire connaître l’écrasante réalité : aujourd’hui, plus que jamais dans l’histoire du monde, de nombreux murs se dressent entre les peuples. À Chypre où le mur à peine percé ne cesse de se refermer, à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, où le mur retenant la migration illégale rappelle le triste butin de la lutte anti-immigration : 4000 morts en dix ans, au Maroc, où les murs se succèdent du Sahara aux portes de l’Europe, en Corée, en Irlande du Nord, au Cachemire… Aujourd’hui, plus que jamais, les murs s’érigent. Pourtant, ils ne parviennent jamais à résoudre ce pourquoi ils ont été construits. Tous, à terme, sont voués à être détruits, comme à Berlin.

Récit d’un voyage en Palestine avec la compagnie Ainsi de Suite.

Camp d'Aïda, Bethléem, Palestine

« Je me souviens lorsqu’ils ont construit le mur. Cela a duré des semaines. Ils ont apporté les barbelés, puis les blocs de béton, qu’ils ont déposé allongés les uns près des autres. Ils ont construit la route… Un matin, je me suis réveillée et pendant la nuit, ils avaient redressé et assemblé les blocs de béton. On ne voyait plus rien. Ils avaient fermé le mur. Je suis restée au moins 15 minutes à regarder le mur sans rien dire. Je n’en revenais pas… » Samira habite en face du mur. Avant elle voyait les champs d’olivier, depuis, un épais mur de béton s’élève face à sa chambre sur 9 mètres de haut. L’horizon est complètement bouché. Elle n’est évidemment pas la seule à se souvenir du jour où ils ont fermé le mur.

Au camp de réfugiés d’Aïda, il y a la vie d’avant et depuis le mur. Beaucoup de choses ont changé. En particulier, l’impossibilité de se déplacer. Mourad, un collègue de Samira au centre culturel Al-Rowwad, se rappelle la dernière fois où il s’est rendu à Jérusalem. Il était tout jeune, il s’en souvient à peine. Pourtant, Jérusalem n’est qu’à 10 kilomètres de Bethléem où se situe le camp d’Aïda. Alors, parce qu’il sait qu’il n’aura pas le permis de travail qui lui permettrait de se déplacer en Israël, il fait des films et raconte son histoire, ce qu’il se passe de son côté du mur. Dans le court-métrage « Check point de Bethléem, 4h du matin », il décrit l’arrivée des travailleurs qui font la queue et se pressent au check point de Bethléem dès 4 heures du matin. Certains arrivent même avant pour avoir plus de chances de passer de l’autre côté. À 5 heures, il y a foule. À l’heure d’ouverture de la grille, c’est chaque jour la panique. Tous les travailleurs du jour se pressent les uns contre les autres pour atteindre le check point. Certains savent pourtant qu’ils seront refoulés. Pour une raison ou une autre, ou sans raison, ils ne pourront pas travailler ce jour-là et ils auront fait la queue dès l’aube pour rien.

Depuis le 16 juin 2002, date du début de sa construction, le mur de Cisjordanie a fractionné la terre palestinienne. Construit sur 723 km sans respect de la ligne verte, le mur s’arroge des terres agricoles et permet d’étendre le territoire israélien en grignotant un mètre par-ci, un kilomètre par-là à l’intérieur de la Cisjordanie. Évidemment, le mur n’est pas le seul responsable de ce morcellement. Les colonies israéliennes qui parsèment le territoire palestinien augmentent le sentiment d’enfermement et de discontinuité territoriale. Aller d’une ville de Cisjordanie à une autre peut se révéler d’une difficulté incommensurable, même lorsqu’il s’agit de parcourir 5 kilomètres. Roger Heacock, historien à l’université de Bir Zeit de Ramallah, raconte qu’il avait l’habitude d’aller le week-end en famille à la mer. « On pouvait aller de la frontière libanaise à la frontière égyptienne et de la mer morte à la mer Méditerranée, et le tout en une journée si on voulait ». Aujourd’hui, voir la Méditerranée pour un Palestinien de Cisjordanie relève du rêve.

Face à l’enfermement, face à l’oppression physique et symbolique du mur, Abdelfattah Abusrour a choisi l’art. Il a créé le Centre culturel Al-Rowwad avec l’idée de donner de l’espoir et un moyen d’expression aux jeunes ayant grandi dans un camp de réfugiés. Au centre, les jeunes peuvent apprendre le théâtre, la musique, à faire des films… Parmi les nombreuses activités proposées par Al-Rowwad, il y a aussi l’invitation de compagnies étrangères. La compagnie de théâtre aixoise Ainsi de Suite a fait partie des invités au mois de juin dernier. « Duo pour un mur », le projet de Claude Pelopidas, directeur de la compagnie, metteur en scène et comédien, s’y prêtait parfaitement. En effet, « Duo pour un mur » raconte l’histoire d’un homme qui se retrouve au pied d’un mur et se bat et débat contre son absurdité. Un jour, il rencontre quelqu’un qui vit de l’autre côté du mur… La présentation de « Duo pour un mur » au camp d’Aïda fut un grand moment de la tournée mondiale des murs. Sur scène, Claude Pelopidas et son acolyte, la jeune altiste Sophie Dutreste. Autour de la scène, des enfants s’essayant en direct dans des scènes du spectacle, un père tachant d’endormir son nourrisson, des grands-mères agréablement déconcertées… Le tout, face au mur, 9 mètres de haut remplis de graffitis pour la liberté, et sur une scène construite spécialement pour le Pape en visite mais qu’il n’aura pas eu l’occasion d’inaugurer. Un joyeux désordre orchestré par la compagnie Ainsi de Suite sur un lieu symbolique.

Dommage, que le projet initial de jouer le spectacle au pied du mur, mais des deux côtés du mur, n’est pu être réalisé en Israël comme il l’avait été à Chypre. À l’Alliance française à Jérusalem, la compagnie avait pourtant été prévenue : « C’est une bonne idée un spectacle sur le mur, vous allez mettre le feu, mais au sens littéral! ». Pas de réponse positive de l’autre côté, peut être pas les bons interlocuteurs. Cela n’enlève rien à la force de la représentation à Bethléem, et encore moins à l’horreur du mur. Sa honte est bien de séparer deux peuples, de provoquer deux enfermements et une misère de l’espace. Car, il est bel et bien là, ce mur qui n’a rien à voir avec des images qui le réduisent au diamètre d’un écran domestique. Ce mur vu et revu est un mur étouffant, asphyxiant, un mur de la honte. Le 9 juillet 2004, la Cour internationale de justice affirmait que cette construction et ses conséquences sur la vie quotidienne des Palestiniens sont contraires au droit international. Pourtant, en 2009, alors que l’on célèbre les 20 ans de la chute du mur de Berlin, sa construction se poursuit.

Mur de séparation, Nicosie, Chypre

MC

Il est possible de voir des extraits du spectacle et des reportages sur le site du théâtre Ainsi de Suite : www.ainsidesuite.com